Ecole, discipline et répression des désirs

Publié le 13 Octobre 2012

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L’ancien situationniste Raoul Vaneigem propose une critique de l’école, entre répression des désirs et soumission à la discipline.

 

« L’école a été avec le famille, l’usine, la caserne et accessoirement l’hôpital et la prison le passage inéluctable où la société marchande infléchissait à son profit la destinée des êtres que l’on dit humains » tranche Raoul Vaneigem pour ouvrir son texte. Cet écrivain et poète a participé à l’aventure de l’Internationale situationniste. Il insiste sur l’affirmation d’une subjectivité radicale. Il s’attache, dans le sillage des avant-gardes artistiques, à la libération de la créativité, des désirs et des passions. Ses écrits renvoient à la perspective d’une révolution poétique et orgastique. Le plaisir et la jouissance doivent primer sur les normes et les contraintes sociales. Dans un petit texte, intitulé Avertissement aux écoliers et lycéens, il applique ses idées radicales au domaine de l’éducation. 

 

De la discipline scolaire à l’expression des désirs

 

« L’école a-t-elle perdu le caractère rebutant qu’elle présentait aux XIXème et XXème siècles, quand elle rompait les esprits et les corps aux dures réalités du rendement et de la servitude, se faisant gloire d’éduquer par devoir, autorité et austérité, non par plaisir et par passion ? » demande ironiquement Raoul Vaneigem. Pour lui l’école, même sous sa forme moderne, conserve une dimension autoritaire. Le dressage et la soumission sont les véritables objectifs de l’entreprise scolaire. L’enfant, attiré par la vie et le jeu, doit se conformer à « l’ennuyeux travail du savoir abstrait » explique Raoul Vaneigem. 

L’école, à l’image de l’édifice social, condamne les enfants à la survie et à la routine au détriment d’une vie plus intense et plus riche. « Odieuse hier, l’école n’est plus que ridicule » estime Raoul Vaneigem. L’embrigadement scolaire était justifié par l’objectif d’une réussite sociale avec un emploi et l’espérance d’une promotion sociale. L’école produit alors des adultes frustrés et insatisfaits, loin des rêves d’enfance. Les élèves apprennent à se conformer aux injonctions d’une société fondée sur le pouvoir et le profit. Mais pour le poète à la radicalité émoussée, l’école n’est pas à détruire. Cette institution porterait en elle les germes d’un renouveau. L’école doit permettre l’apprentissage de la vie. « Mais aussi une vie fondée sur la créativité,  non sur le travail; sur l’authenticité, non sur le paraître; sur la luxuriance des désirs, non sur les mécanismes du refoulement et du défoulement » précise Raoul Vaneigem. L’école doit permettre l’expression de l’amour et du merveilleux. La volonté de vivre doit primer sur la volonté de puissance. 

 

L’enseignement doit permettre à l’enfant de « satisfaire ses désirs non dans l’assouvissement animal mais selon les affinements de la conscience humaine » estime Raoul Vaneigem. Pourtant l’école repose sur la répression des désirs. Discipline et maintien de l’ordre fondent toute éducation. Les connaissances sont assénées par la contrainte et la menace. L’« intelligence sensible et sensuelle chevillée aux désirs » doit se soumettre au savoir abstrait séparé de la vie. Les corps et les esprit doivent se soumettre à l’autorité des professeurs qui récompensent les plus serviles. L’école apparaît comme un lieu de dressage et de conditionnement. 

Mais l’école autorise également des dérapages contrôlés. Les mouvements de contestation sont encadrés par des bureaucrates. Les cours de récréation servent de défouloir. 

La curiosité spontanée des enfants est réprimée. L’école détruit le plaisir d’apprendre pour imposer l’ennui. L’enfant est castré de sa sensualité originelle et de ses pulsions de vie. Il est gavé artificiellement par le système éducatif pour être conduit sur le marché du travail. 

L’école s’apparente à un tribunal dans lequel l’élève est « mis en examen ». Il subit l’accusation présumée d’ignorance. Les enfants sont jugés et sanctionnés. Ils ne peuvent plus développer leur autonomie et leur créativité. 

Au contraire, la connaissance doit ouvrir au merveilleux. 

 

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L’école moderne entre normes et contraintes

 

Malgré le déclin de l’autoritarisme dans les sociétés occidentales, l’image de l’école caserne perdure. La soumission, la hiérarchie et même les bâtiments évoquent un enseignement militaire fondé sur la peur. Raoul Vaneigem préconise de « faire de l’école un lieu où ne règnent ni autorité ni soumission, ni forts ni faibles, ni premiers ni derniers ». Mais, à l’école comme dans la société, la barbarie prime sur la créativité. L’apprentissage doit au contraire encourager « une volonté sans cesse ravivée de jouir de soi et du monde ». 

La contrainte réprime le désir de savoir. « Travaille d’abord, tu t’amuseras ensuite » devient l’injonction privilégiée de l’école et de la famille. Le plaisir et la passion demeurent pourtant les véritables moteurs de l’activité humaine. 

 

Désormais, l’école devient une marchandise. Dans les universités, les étudiants sont considérés comme des clients incités à consommer des cours plutôt qu’à apprendre. L’école doit favoriser « une plus grande adaptabilité des comportements de manière à répondre à la demande du marché de la main-d’oeuvre » prescrit la Commission européenne dès 1993. 

A partir des années 1950, les sociétés capitalistes s’appuient sur une forte consommation. Après l’atelier et le bureau, les travailleurs doivent rejoindre les usines de la consommation. L'école doit fabriquer un individu producteur et consommateur.

L’emprise de la rentabilité et de la logique quantitative sur la vie existe également à l’école. Contre une société de surproduction et de surconsommation, l’école doit s’appuyer sur le jeu pour permettre aux individus de développer leur créativité. 

 

Un texte intitulé « Vaneigem over » souligne les limites du livre de l’ancien situationniste. Pour Vaneigem, la société semble évoluer positivement depuis Mai 68. Les contraintes semblent disparaître progressivement. L’école n’est donc plus à détruire mais doit se contenter d’évoluer. Cette analyse se révèle évidemment fausse et naïve. Certes l’autoritarisme brutal s’accompagne de l’intériorisation de normes sociales. Pour autant, les individus ne semblent pas plus libres. L’école, l’Etat, la famille diffusent des normes qui sont intériorisées par chacun. Des individus dociles sont façonnés par le capital. Les institutions qui imposent la répression sexuelle et le renoncement aux désirs évoluent, s’adaptent, mais perdurent. Luc Boltanski souligne la récupération de la critique artiste, incarnée par Vaneigem, par le capitalisme.

Mais les avant-gardes artistiques proposent des pistes de réflexions pour ne pas s’accommoder de l’institution scolaire. Plus sûrement qu’un aménagement de l’embrigadement des enfants proposé par un Vaneigem édenté. Libérer la créativité et les désirs et passionner la vie ne peut se réaliser que sur les ruines de l’école.

 

Source: Raoul Vaneigem, Avertissement aux écoliers et lycéens, Mille et une nuits, 1995

 

 

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Pour aller plus loin:

 

"Vaneigem over", texte publié sur le site de Claude Guillon le 10 juillet 2004

Recension par Ono Maxada publié sur le site La révolution en charentaises le 27 novembre 2011

Enregistrement d'une lecture du livre sur le site Zapzalap publié le 11 juin 2012

Tract du Scalp / No Pasaran 34 sur l'éducation

Collectif alertez les bébés, Dans le ventre de l'ogre (2005), publié sur le site Dialectical Delinquents le 16 juin 2015

Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Anarchisme révolutionnaire, #Révolution sexuelle

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