La défense de l'Université et ses limites

Publié le 12 Septembre 2012

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La critique des réformes libérales de l'Université provient des chercheurs. Ses universitaires refusent de prendre en compte l'ampleur du désastre et tentent vainement de trouver quelque chose à sauver.

 

Avec les réformes néolibérales, l’Université et la recherche s’apparentent à un vaste marché de la connaissance. Rentabilité, compétivité et performance deviennent les nouvelles normes. Pourtant, les universitaires défendent leur institution sans en souligner les limites. L’éducation s’apparente à une mise aux normes et l’apprentissage repose sur la soumission. Dans le contexte de mouvements étudiants au Québec et au Chili, ses débats semblent majeurs.

 

 

L’éducation selon Chomsky

 

Des écrits de Noam Chomsky sur l’Université révèlent l’ambigüité des intellectuels de la gauche radicale face à l’université. Ce célèbre linguiste américain est surtout connu comme un universitaire engagé. Perçu comme proche de la pensée libertaire, il exprime plutôt un réformisme radical. Il ne s’inscrit pas dans une rupture avec l’ordre capitaliste mais aspire davantage à améliorer la société actuelle. Pourtant, parmi les penseurs contemporains, il demeure l’un des moins inintéressants.

Ses écrits sur l’université sont publiés en France par Raisons d’agir, une maison d’édition indépendante, un des héritages intellectuels du sociologue Pierre Bourdieu proche des idées de Noam Chomsky. Surtout, cette maison d’édition s’attache à la défense de l’université considérée comme l’un des derniers remparts face au néolibéralisme défendu par les intellectuels médiatiques. Mieux, les disciples de Pierre Bourdieu défendent le cloisonnement de la recherche scientifique par rapport à d’éventuelles influences sociales qui peuvent provenir effectivement des entreprises et des médias, mais aussi des mouvements de contestation sociale. L’abolition de l’université et de la monopolisation du savoir n’est donc pas à l’ordre du jour dans ce petit livre qui, malgré ses limites, délivre des réflexions parfois stimulantes.

 

La réflexion de Noam Chomsky sur l’éducation évoque les idées de Bertrand Russel. L’éducation doit favoriser la créativité des enfants dans la liberté afin de ne pas orienter les élèves dans une voie prédéterminée. Cette idée repose sur le postulat d’une pulsion créatrice qui anime la nature humaine. Pour Bertrand Russel, les institutions d’une communauté doivent permettre de rendre le travail agréable.

Si Chomsky n’aspire pas à détruire le système éducatif, il reconnaît l’aspect largement idéaliste de sa conception de l’école. Dans le monde réel, l’éducation, loin de stimuler la créativité des enfants, permet un conditionnement des enfants vers l’obéissance et le conformisme. Le contenu des programmes et de l’enseignement apparaît parfois comme une vaste propagande idéologique.

 

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Une défense naïve de l’Université

 

Dans un texte écrit en 1969, dans le contexte bouillonnant de la contestation étudiante, Noam Chomsky s’attache à penser la réforme de l’université. Il observe le primat de la concurrence. L’entraide entre les étudiants est considérée comme de la tricherie. La limite de temps dans les recherches favorise la banalité et le conformisme de la médiocrité plutôt que l’approfondissement intellectuel. La sélection à l’université, officielle ou pas, permet de perpétuer les privilèges sociaux.

Noam Chomsky se réfère à Humbolt qui considère que l’université devrait être accessible à tous et tout au long de la vie. L’université doit permettre, à chacun et à tout moment, de développer sa « vie spirituelle ». Mais les universités, devenues le centre de la vie intellectuelle, favorisent le conformisme plutôt que l’innovation dans la recherche.

Noam Chomsky perçoit également l’université comme un foyer de contestation sociale en raison des révoltes étudiantes. Mais la jeunesse réagit par rapport à la situation qu’elle subit, et non pas car elle y serait encouragée par l’enseignement délivré à l’université. Noam Chomsky se réfère au projet de réforme du SDS, principal syndicat étudiant de gauche. Le SDS considère que l’action doit être portée par la raison et justifie ainsi une nécessaire réforme de l’université. Mais la réflexion critique ne se situe pas à l’université mais dans les livres et journaux subversifs ainsi que dans différents espaces de débats et de confrontations intellectuelles.

 

Dans un autre texte daté de 1969, Noam Chomsky s’oppose à l’idée de détruire les universités. Dans la société capitaliste, les universités sont, selon lui, les institutions les plus libres et ouvertes. La destruction des universités peut déboucher vers la création d’institutions plus autoritaires. Noam Chomsky reste enfermé dans une idéologie scientiste et ne conçoit pas que la recherche, entre autre militaire et techno-scientifique, participe à consolider cette société capitaliste et autoritaire.

Il considère même que l’université peut devenir un instrument de changement social. Mais Noam Chomsky rejette le rapport de force social pour transformer la société. Il privilégie un changement progressif, à partir de l’éducation, pour changer les mentalités avant de changer la société. Cette démarche d’un anarchisme éducateur est particulièrement présente aux États-Unis. En France, les disciples de Bourdieu estiment qu’il est urgent de changer les représentations sociales avant de changer la société. Mais cette démarche a tendance à exclure l’idée selon laquelle l’éducation se construit davantage dans les luttes sociales que dans les amphithéâtres. Surtout, les professeurs d’université, dans le cadre de cette stratégie, sont amenés à jouer le rôle d’une avant-garde qui émancipe le peuple en lui délivrant ses précieux enseignements. Toutefois, Noam Chomsky insiste sur l’auto-éducation pour éviter cette dérive.

Dans un élan de naïveté assez surprenant de la part de quelqu’un qui passe pour un des plus grands intellectuels contemporains, il évoque un programme de réformes de l’université et de la recherche. Il souhaite une diminution de la recherche militaire et contre-insurrectionnelle. Pourquoi ne pas demander des subventions pour aider ceux qui veulent détruire l’État ? Le réformisme radical de Noam Chomsky est impossible à mettre en œuvre. A moins d’une révolution mais qui aurait alors des possibilités bien plus ambitieuses. Mais Noam Chomsky s’illusionne sur une « communauté de scientifiques responsables » qui pourraient influencer l’État à coup de moratoires.

 

Pour Noam Chomsky, le rôle de l’université oscille entre émancipation et conditionnement. La propagande impérialiste et libérale, vulgarisée et diffusée dans les médias, provient surtout de la recherche universitaire. Mais Noam Chomsky rejette la critique radicale de l’université.

 

 

                 

 

Les universitaires contre les réformes néolibérales

Un film de Thomas Lacoste sur les réformes universitaires permet un regard plus large que l’optique syndicaliste qui s’intéresse uniquement à la dernière mesure gouvernementale. Cependant, ce film défend le point de vue des universitaires.

Ce film propose une analyse de l’université par des universitaires. Ses chercheurs critiquent l’évolution néolibérale de l’enseignement supérieur qui doit se tourner vers les entreprises et devenir compétitif. Christian de Montlibert défend au contraire le fonctionnement actuel des universités avec ses directions collégiales. Le classement de Shanghai développe une évaluation des différentes universités selon une logique marchande. La « démocratie interne » et le « contrôle par les pairs » sont au contraire valorisés par les antilibéraux. Avec les réformes, le président de l’université renforce ses pouvoirs et peut recruter les enseignants-chercheurs.

Les réformes de l’université renforcent la précarité. Le recrutement s’effectue avec des contrats instables. La privatisation des universités supposent de chercher des ressources en dehors de l'État. Mais les présidents doivent alors augmenter les frais d’inscription ou favoriser des recherches financées par les entreprises.

Les stages et formations professionnalisantes renforcent la soumission des étudiants à la logique d’entreprise et fournissent une main d’œuvre gratuite. Une université à deux vitesses s’instaure avec des formations sélectives et des formations sans débouchés.

Malgré des analyses pertinentes sur les évolutions récentes, ce film défend une université inféodé à l'État et à un capitalisme régulé. Les universitaires militent pour un retour des mandarins et, logiquement, pour un renforcement de leur pouvoir. Ils défendent l’Université car ils défendent leurs intérêts. Les universités ne sont pas uniquement des appareils idéologiques d'État au service du capitalisme. Les universités répondent à une logique propre. Mais qui est également une logique de soumission. Le contrôle par les pairs favorise l’académisme, la servitude des jeunes chercheurs à l’égard de ceux qui sont déjà en poste et une absence de créativité dans le domaine de la recherche.

Ce film occulte la parole des étudiants, qui ont pourtant impulsé la lutte contre les réformes universitaires. Les enseignants-chercheurs ne faisant que suivre le mouvement. La précarisation des personnels non enseignants n’est pas davantage évoquée. Les différentes formes de savoirs critiques, l’expérimentation dans les luttes, les diverses pensées critiques n’émergent pas dans les universités. Quand un semblant de réflexion critique se développe dans les amphis, c’est qu’une assemblée de lutte s’y déroule et que les cours sont bloqués. L’école émancipatrice et la démocratisation scolaire relèvent davantage du mythe républicain que de la réalité sociale.

Si une preuve était nécessaire, ce film montre bien la vacuité intellectuelle des universitaires qui se bornent à défendre leurs intérêts corporatistes sans la moindre réflexion sur la place de l’université dans la société capitaliste et le maintien de l’ordre marchand. La recherche actuelle, dite fondamentale, serait « désintéressée » et « pour l’intérêt de tous ».

Finalement ses chercheurs rejoignent le gouvernement car ils insistent sur le rôle de l’enseignement et de la recherche qui sont au service du capitalisme. Ses chercheurs veulent obtenir des débouchés professionnels. Le bureaucrate de la CGT estime que l’université a pour seul but de former des salariés et de renforcer leur « employabilité ». Donc, l’Université doit être détruite avec l’aliénation du salariat. L'école loin de favoriser l'émancipation permet aux individus de s'adapter et de se conformer à l'ordre marchand.

L’université n’est pas à sauver mais à détruire.

 

Sources:

Noam Chomsky, Réflexions sur l’université, Raisons d’agir, 2010

Thomas Lacoste, film « Universités, le grand soir » :

Partie 1, Partie 2, Partie 3, Partie 4

 

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Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Sociologie critique

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