La littérature érotique de Pierre Louÿs

Publié le 9 Août 2013

La littérature érotique de Pierre Louÿs

Des manuscrits inédits permettent de savourer la littérature érotique et joyeusement subversive de Pierre Louÿs. 

 

Pierre Louÿs demeure la figure incontournable de la littérature érotique de la Belle époque, au début du XXème siècle. Les éditions La Musardine publient un recueil de textes inédits de l’écrivain érotique à l’humour caustique.

Aujourd'hui l'érotisme littéraire devient une marchandise aseptisée banalement inoffensive, à l'image du best-seller Cinquantes nuances de Grey. La subversion, même dans sa version sadique, devient insipide et froidement markettée pour reproduire les normes sociales les plus banales. Au contraire, l'imagination érotique foisonnante de Pierre Louÿs contraste avec la sexualité triste et routinière proposée par notre époque. 

 

 

Le parcours d’un écrivain

Alexandre Dupouy présente cette figure de la littérature érotomane. Pierre Louÿs est né en 1870 dans une famille de magistrats rémois, dans le contexte de la guerre entre la France et l’Allemagne. Le jeune homme rencontre de nombreux artistes et écrivains de talent, comme Paul Valéry ou Oscar Wilde. Il publie ses premières poésies à compte d’auteur dès l’âge de 22 ans. Pierre Louÿs intitule son recueil Astarté, en référence à la déesse phénicienne, l’une des premières divinités de l’amour. 

Pierre Louÿs s’intéresse à l’Antiquité grecque. Il diffuse des fausses traductions de prétendus poèmes grecs. Il dévoile déjà son humour ludique. Il publie plusieurs textes érotiques qui connaissent un important succès. Mais, l’écrivain préfère « le génie à la gloire ». Il s’intéresse aux livres anciens et meurt à l’âge de cinquante-cinq ans dans la misère. 

Mais Pierre Louÿs connaît une postérité qui en fait l’une des figures de la littérature érotique, avec Sade et Guillaume Apollinaire. Ses manuscrits sont publiés par les auteurs de Curiosa, des ouvrages clandestins consacrés aux choses de l’amour et du mariage. Moins pudiquement, cette formule désigne la littérature érotique et pornographique. Les textes de Pierre Louÿs deviennent des classiques de la littérature érotique. Trois filles de leur mère ou le fameux Manuel de civilité pour les jeunes filles à l’usage des maisons d’éducations, avec son humour subversif, sont toujours réédités aujourd’hui. 

 

« Pierre Louÿs, donc, eut trois passions ; l’écriture, la bibliophilie et les femmes », résume Alexandre Dupouy. Mais ce sont les femmes qui demeurent sa principale préoccupation. Son journal intime révèle son intérêt pour les femmes dès l’adolescence. Il regarde alors ses corps dont les habits doivent uniquement mettre en valeur la nudité. « C’est un raffinement, et le plus grand de tous, puisqu’il décuple la volupté en paressant sacrifier à la pudeur », écrit alors Pierre Louÿs. 

Sa vie amoureuse et sexuelle semble tumultueuse. Il côtoie le Tout-Paris féminin. Il fréquente notamment des intellectuelles lesbiennes dont il devient le confident. Son appartement se peuple de créatures féminines, « jeunes lesbiennes qui ne sont ni farouches, ni exclusives », précise le biographe Jean-Pierre Goujon. Ses adaptations au théâtre le conduisent à avoir également des relations avec des actrices. 

Pierre Louÿs se soustrait à l’ordre moral. Contre la culpabilisation de la religion et la répression sexuelle, il décrit longuement ses désirs et ses plaisirs érotiques. « Louÿs demeure l’un des rares êtres humains à mettre en scène ses goûts, à les décrire sans pudeur, sans honte ni détours, ce que l’humanité d’hier et d’aujourd’hui renâcle à faire, en particulier depuis que les religions monothéistes confondent amour et pêché », souligne Alexandre Dupouy. L’érotisme de Pierre Louÿs attaque le crétinisme de la morale bourgeoise qui s’oppose à l’amour et au plaisir. 

 

 

L’imagination érotique, entre jeu et plaisir

 

Dans Les sœurs à l’envers, Pierre Louÿs propose un festival érotique avec des descriptions sensuelles. « La peau en était délicieusement fine et molle et pleine de parfums… », écrit Pierre Louÿs. Dans ses écrits, même les prostitués s’attachent au plaisir sexuel. « Étant môme, à l’école, je me faisais déjà fouiller les fesses un peu par celui qui voulait », décrit Fernande. Loin du misérabilisme post-féministe des libertaires pudibonds d’aujourd’hui, les relations sexuelles ne sont pas source d’oppression mais, au contraire, de jouissance.

L’écrivain décrit même la sexualité d’une enfant, loin des conventions sociales qui prétendent que la jeunesse n’a aucun désir sexuel. Fernande, alors très jeune, offre son corps pour expérimenter le plaisir anal en compagnie de petits garçons et même de petites filles.

Chez Pierre Louÿs l’initiation érotique des femmes se fait souvent en compagnie d’autres femmes. « Elles murmuraient que j’étais belle, qu’elles m’adoraient, qu’elles voulaient être mes amants, jouir de moi, s’exciter sur moi, me faire pâmer sous leurs caresses, et défaillir écrasée entre leurs bras vainqueurs et leurs poitrines heureuses », proclame un personnage de Pierre Louÿs. L’érotisme lesbien, loin du puritanisme queer, incarne la volupté et la sensualité. C’est aussi un amour libéré, avec de multiples amantes, loin du petit couple corseté et du médiocre « mariage pour tous » cher au lobby LGBT. 

 

La description de l’initiation érotique permet d’attaquer les normes morales intériorisées par les individus. Dans la pièce de théâtre Service de nuit, une maîtresse fait découvrir à sa bonne les délices du plaisir féminin. La bonne semble d’abord réticente. Sa rigueur morale l’empêche de s’abandonner au plaisir. Dans un premier temps, elle refuse même de dévoiler la nudité de son corps. Après baisers et caresses, la bonne accepte malgré tout d’écarter les jambes. Elle découvre alors la jouissance que sa morale interdisait. « Oh ! Je remercie vraiment Madame. Je peux dire que je n’ai jamais été si heureuse de ma vie », déclare alors la bonne. 

Cette initiation érotique semble subversive. L’expérimentation et la découverte des plaisirs charnels, bien que réprimée, demeure source de plaisir et même de bonheur. Cette pièce attaque donc l’ordre moral et la répression sexuelle qui interdit l’abandon à la jouissance. Les normes et les contraintes sociales empêchent les individus d’accéder au bonheur. Cette littérature érotique rejoint alors la pensée libertaire pour dynamiter les conventions sociales et la société bourgeoise. 

L’expérimentation sexuelle et le plaisir amoureux apparaissent comme un jeu. Loin de la routine mécanisée des films pornographiques ou des froides prescriptions des magazines féminins, le plaisir sexuel ne renvoie pas à l’esprit de sérieux. Aujourd’hui, la sexualité est associée à l’angoisse de la performance qui devient la nouvelle morale. Au contraire, l’humour traverse les écrits de Pierre Louÿs qui insiste sur la dimension ludique et légère du plaisir sexuel. 

 

 

L’expérimentation ludique et orgastique

 

Pierre Louÿs propose une « Petite méthode de vulve ». Dans ce manuel pratique, il incite les femmes à se caresser pour mieux connaître leur corps et découvrir les délices du plaisir charnel. « L’élève doit avoir le plus grand amour pour sa vulve, car c’est le véritable cœur de la femme et la source de toutes ses jouissances », prescrit Pierre Louÿs. Il décrit ensuite les « points voluptueux » du corps féminin, du clitoris à la nuque en passant par les fesses. Toutes les parties du corps doivent être explorées, surtout celles qui sont considérées comme les plus obscènes. 

Ce texte insiste sur l’importance de la masturbation. Les caresses doivent embrasser toutes les parties du corps : les seins, l’anus, la vulve, le vagin et le clitoris. Pierre Louÿs s’attache à un érotisme sensuel avec des baisers qui doivent s’étendre sur toutes les parties du corps. Les caresses peuvent donc également se prodiguer avec la langue. « L’élève continue de lécher, comme elle lècherait une tartine, et avec une certaine avidité, afin de persuader l’amie du plaisir personnel qu’elle éprouve », conseille Pierre Louÿs. Il évoque également les parfums et les saveurs du corps. Le plaisir érotique concerne tous les sens. 

L’écrivain s’amuse à parodier les manuels de morale qui imposent la pudibonderie et la répression sexuelle. Mais ses conseils sont radicalement différents. « Une jeune fille ne doit avoir que deux buts dans la vie : faire jouir son corps, corrompre son âme », conseille Pierre Louÿs. 

 

Les écrits de Pierre Louÿs font écho à toute une pensée libertaire et libertine, aujourd'hui délaissée. La répression sexuelle ne fait plus l'objet de la moindre critique politique. Pourtant, dès le plus jeune âge, les individus doivent répimer leurs désirs pour se conformer aux normes et aux contraintes sociales. Alors que le livre évoque le plaisir sexuel des enfants, la couverture propose une froide mention légale « Réservé aux adultes » qui rappelle la terreur de l'ordre moral toujours présente.

Certes, dans l'époque moderne, la sexualité semble omniprésente et les livres érotiques ne sont plus clandestins. Pourtant, la morale continue de condamner le plaisir, de le stigmatiser ou au mieux de le dévaloriser. Le travail, la famille, l'amour désincarné, la loi et l'ordre priment sur le plaisir érotique et ludique. La modernité se caractérise davantage par une misère affective, sensuelle et sexuelle.

Surtout, le spectacle constant de la sexualité évacue le plaisir, la volupté, la sensualité. Les corps de femmes exposées par les publicités ou les magazines féminins n'expriment aucun désir mais sont réduit à du papier glacé prétendument sexy mais surtout froid. La pornographie et les magazines féminins ne proposent qu'un imaginaire érotique asséché, morne, et répétitif. La modernité marchande ne fait qu'imposer les normes de la compétitivité et de la rentabilité, à travers la mécanique routinière de la pornographie ou le "bon coup" évalué et calibré des magazines féminins.

Au contraire, la littérature érotique de Pierre Louÿs libère l'imagination et les désirs. La sexualité n'est plus une norme à évaluer mais, au contraire, un plaisir ludique et orgastique. Contre le règne actuel de la performance, ses écrits privilégient un abandon à la jouissance. 

 

Source : Pierre Louÿs, Les sœurs à l’envers et autres textes inédits (édition établie et présentée par Alexandre Dupuy), La Musardine, 2013

Curiosa. Le petit musée de l'illustration érotique

 

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Pour aller plus loin :

Site consacré à Pierre Louÿs

France Culture, "Le sexe dans tous ses rapports 3/4 : L'oeuvre érotique de Pierre Louÿs", diffusé le 30 mai 2012

Nicolas Malais, "Pierre Louÿs, bibliophile, érotomane et amoureux...", Le frisson esthétique n°3, hiver 2006-2007

Pierre Louÿs, Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation

Pierre Louÿs sur le site des éditions Allia

http://www.cypherpress.com/books/manueldecivilite/manueldecivilite.pdf

Publié dans #Révolution sexuelle

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B
Une coquille : il ne doit pas être né en 1970...
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