Contre l'ennui militant

Publié le 5 Septembre 2011

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Dans le contexte du gauchisme des années 1970, une courte brochure dénonce l'aliénation militante. Cette charge polémique conserve une actualité dans sa critique de la vie quotidienne.

 

 

Portrait de Lénine sur fond beige: la brochure intitulé « Le militantisme stade suprême de l’aliénation » préserve une apparence austère pour démolir joyeusement la monotonie militante. Cette brochure est publiée en 1972, dans le sillage de l’onde de choc provoquée par Mai 68 en France.

 

Trotskystes, maoïstes, anarchistes, tous les courants gauchistes multiplient les groupuscules qui sont la véritable cible de la brochure. Selon ses auteurs, le mouvement révolutionnaire doit balayer ses organisations gauchistes qui tentent ridiculement de contrôler la classe ouvrière. Ce texte ne dénonce pas les diverses idéologies des multiples sectes gauchistes, mais leur pratique commune : le militantisme.  Cette critique dénonce l’aliénation qui est ancrée en chaque individu. Les militants auteurs de la brochure ne s’extraient pas de cette critique qui s’appuie sur leur propre expérience.

 

La brochure dénonce le masochisme et l’ennui de la routine militante. « Il y a une énorme contradiction entre ce qu’ils prétendent désirer et la misère et l’inefficacité de ce qu’ils font », soulignent les auteurs. Hiérarchie, petits chefs, ronronnement chronique : l’activité militante s’apparente au travail. Le sacrifice pour la cause justifie les pires renoncements dans l’immédiat. Ensuite, le « désir de promotion » prime sur la « promotion des désirs ». Le militant se met au service du prolétariat. Mais, en tant que prolétaire, il devrait s’attacher à satisfaire ses propres désirs. « Militer, ce n’est pas s’accrocher à la transformation de sa vie quotidienne, ce n’est pas se révolter directement contre ce qui opprime, c’est au contraire fuir ce terrain », soulignent les auteurs. Le militant se consacre également à ce qu’il nomme lui-même le « travail politique ». « C’est parce que l’activité militante n’est pas le prolongement de ses désirs, c’est parce qu’elle obéit à une logique qui lui est extérieure, qu’elle se rapproche du travail », explique la brochure. La réunionite est elle-même dénoncée par les militants. Mais c’est alors un activisme déconnecté de la réalité sociale qui prévaut. Les deux pôles, organisation et action, sont séparés des luttes sociales et des désirs des masses.

La hiérarchie structure les appareils militants. La solution ne provient pas de la confrontation des volontés de chacun mais d’une bureaucratie. Le militant nie toute forme de subjectivité. « Le militant refuse d’être mû par ses désirs et en est réduit à invoquer les nécessités historiques considérées comme extérieures au monde des désirs », poursuit la brochure. Le militantisme se pose donc comme extérieur à la classe ouvrière qu’il prétend représenter. Les auteurs de la brochure s’inscrivent dans l’histoire des conseils ouvriers. Les organisations militantes cherchent à contrôler, limiter, récupérer ou détruire les formes de lutte mises en place directement par le prolétariat : soviets, comités de quartiers ou d’usines. En 1917, Lénine et les bolcheviques ignorent, récupèrent puis répriment les soviets. L’Allemagne des années 1920 et l’Espagne de 1936 subissent également la destruction du pouvoir populaire par les bureaucrates.

 

Une autre brochure, datée de 1974, informe sur l’identité des auteurs de la précédente et sur la réception de cette critique du militantisme. Les créateurs de la brochure proviennent de l’Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires (OJTR), une organisation de jeunesse proche du Parti socialiste unifié (PSU). Ce parti regroupe des communistes autoritaires, des débris du trotskisme et une direction social-démocrate. Il semble compréhensible que des jeunes conseillistes, influencées par les idées situationnistes, n’épargnent pas des pratiques qu’ils subissent au sein du parti de Michel Rocard.

L’OJTR ne se développe pas numériquement mais ses militants interviennent directement dans les luttes, notamment au sein des foyers de jeunes travailleurs. La brochure sur le militantisme est évidemment mal perçue par le PSU et les militants gauchistes. Les auteurs critiquent également les tenants de l’alternative individuelle. Ceux qui vivent leur révolution minuscule, à l’échelle de leur nombril, qui ne débouche vers aucune perspective de rupture avec la société marchande et d’émancipation collective.

 

Ce texte permet de développer une critique de la vie quotidienne des militants. Les gauchistes prétendent changer le monde et transformer la vie en préservant des pratiques aliénées. Le contexte a évolué mais la critique des appareils militants reste toujours pertinente. L’identification et la limitation de toutes les formes de pouvoir au sein des groupes militants demeure indispensable. L’idée selon laquelle la lutte sociale permet d’exprimer une subjectivité qui correspond à ses désirs semble également décisive. S’appuyer sur l’expérimentation politique et sur la réalisation des désirs dessine une piste vers une émancipation immédiate et une libération révolutionnaire.

 

 

Pour aller plus loin :

Le site de Claude Guillon publie également la première brochure mais aussi la seconde

Le premier texte est disponible sur le site Infokiosques en format brochure

G.D., Le militant au 21e siècle, publié sur le site DDT21

Radio Vosstanie du 28/06/2014 : S'organiser pour quoi faire ?

 

 

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Publié dans #Anarchisme révolutionnaire

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